Vous avez sûrement déjà entendu la phrase « ce film a quelque chose pour tout le monde », présentée comme compliment à une œuvre pour enfants et sa capacité à toucher un public de tout âge. Ces films qui proposent un spectacle divertissant et qui proposent une narration, parfois implicite, qui apportent une réflexion aux jeunes comme aux plus âgé·es, ne courent malheureusement pas les rues.

Que ce soit clair, je ne considère pas les films-spectacle — pensez The Wild Robot ou Flow pour des exemples récents — qui vont faire émouvoir les parents et divertir les enfants dans cette catégorie. Je cherche des films qui proposent tout ça et plus. Qu’un film pour la famille soit divertissant et amusant, ce n’est pas le but, c’est le strict minimum. Je pourrais critiquer les films pour tout-petits qui ne proposent que des couleurs vives et des bruits distrayants, pensés pour donner du répit aux parents, mais je ne vais pas le faire. D’une part ça reviendrait à suivre des sentiers battus et d’autre part je ne vais pas m’infliger du grillage de cerveau pour pouvoir vous donner des exemples.

Ici je cherche des films qui amènent des thématiques compréhensibles par les enfants sans les sur-simplifier. Je cherche des films qui n’ont pas peur de présenter les choses telles qu’elles sont, non comme ces parents qui cherchent à protéger à tout prix leurs enfants des horreurs du monde. Les tours d’ivoire font plus de mal que de bien. Le site commonsensemedia.org permet à des parents de donner leur opinion sur l’âge adéquat auquel montrer un film à des enfants. Lire les critiques du film Finding Nemo est un très bon exemple d’adultes qui sous-estiment les capacités de compréhension des enfants et qui cherchent à les protéger de tout ce qui n’est pas rose. L’utilisateur·ice MomToFour décrit le film comme un « conte de Grimm recouvert de barbe à papa » et estime que si « les personnages n’étaient pas si ‘choux’, [le film] serait classifié dans l’horreur ». Une autre personne, Merrill C., déconseille le film aux moins de 15 ans: « C’est totalement inapproprié pour les petits enfants. […]Les requins et les gros filets, c’est trop pour les enfants. Mon enfant a 10 ans et il ne regardera pas ce film avant plusieurs années, je ne pense pas qu’il va être capable de voir ce film. »

Considérer que à 10 ans, on est un petit enfant, c’est drastiquement sous-estimer l’intelligence d’un humain à cet âge-là. Finding Nemo est un film qui parle de la difficulté et de la cruauté du monde — la cruauté des humains — et de la résilience à survivre à ce monde et trouver de l’amour un peu partout, surtout quand on ne s’y attend pas. Rendre les humains cruels envers les poissons nous fait prendre un pas en arrière pour nous permettre de ne pas sentir cette cruauté de manière frontale. On compatit pour les poissons et on comprend la violence des humains, mais on ne se sent pas visé. Ce processus permet de comprendre, en tant qu’enfant, que les humains sont parfois cruels, sans pour autant nous brusquer. On grandit ensuite et on découvre petit à petit que cette cruauté s’étend bien au-delà. Mais refuser de montrer ce film à un enfant, le protéger de la violence du monde, revient à ne pas l’y préparer. Cet enfant va, à l’adolescence, se prendre en plein fouet la réalité du monde et ne va pas savoir comment digérer tout d’un coup.

J’ai découvert cette semaine un film qui va un peu plus loin dans cette démarche. L’Olívia i el terratrèmol invisible — Olivia et le tremblement de terre invisible — est un film de stop-motion catalan écrit et réalisé par Irene Iborra Rizo. Adapté d’un livre de Maite Carranza intitulé La película de la vida, le film raconte l’histoire d’une fille de 12 ans qui se retrouve, avec sa mère et son petit frère, à la rue. La famille subit une abrupte chute de classe. Olivia se fait rejeter par sa meilleure amie, elle doit changer d’école, et se retrouve dans un squat sans électricité ni eau courante.

deux agent·es de police qui regardent de manière menaçante

Sa mère plonge dans une dépression et Olivia est forcée de s’occuper de son frère. Chercher des habits et de la nourriture dans une banque alimentaire, se laver les cheveux à la fontaine publique, charger son téléphone à l’école ou encore improviser des meubles avec des trouvailles de la déchetterie. Le film présente la dure réalité de la précarité sans tourner autour du pot, avec des situations réalistes que les enfants comprennent très bien.

Olivia et son amie se lavent les cheveux à la fontaine publique

Non seulement le film montre les choses, mais il n’a également pas peur de les dire. Un doudou est volé dans un magasin et l’école est avertie. L’enseignant·e demande à toute la classe que la·e coupable se dénonce. En voyant que personne ne se manifeste, il accuse par défaut Lamine, un garçon Ivoirien. Lamine vocalise l’injustice auprès du·la prof et auprès de la·e responsable du magasin. Il marmonne puis répète plus fort un mot: « raciste ». Olivia, la réelle coupable, consciente du schéma d’injustice, se dénonce. Reconnaissant, Lamine l’aide dans sa galère qu’il ne connaît que trop bien. C’est le début d’une amitié qui va changer la vie d’Olivia et sa famille.

Olivia et Lamine discutent, caché sous une penderie

« Touche pas, Tim, c’est pour les gens pauvres. — Et à ton avis, on est quoi, nous? »

Le film explore les thèmes de la pauvreté, la violence du capitalisme, la santé mentale, le racisme, les violences policières et autres injustices sociales de manière claire et posée. Le film n’a pas peur de cacher ces choses aux enfants. Le film raconte aussi l’histoire de la résilience d’Olivia et de l’importance de la communauté. Lamine, sa mère, les enfants du quartier et les autres membres du squat se mobilisent pour venir en aide à Olivia et sa famille. Et plus important encore, les enfants gardent leur capacité à s’amuser et à rêver.

Olivia Tim et Lamine descendent une pente à toute vitesse dans un caddie

Cette sensibilisation aux injustices sociales est adressée aux enfants et la manière dont elle est racontée est accessible aux adultes également. Le film propose même, comme petits clins d’œil, des tags et des affiches militantes dans son décor, détails qui parleront aux adultes probablement plus au courant de l’actualité du monde.

Lamine Tim et Olivia marchent devant un tag qui représente le drapeau de la Palestine

Je recommande donc vivement ce film à tout le monde. Il sortira en Suisse au cinéma fin 2026. En attendant, vous pouvez aller voir — ou revoir — Ma vie de courgette, un film assez similaire dans sa manière de traiter les thématiques.

xoxo, funiculaire